Entreprise et famille

Lorsqu’une personne décide de créer ou de reprendre une entreprise, le futur chef d’entreprise est confronté au financement de son projet, mais aussi, à la protection de ses biens face aux futurs créanciers professionnels.

La protection du patrimoine de l’entrepreneur est d’autant plus importante lorsque celui-ci va se marier ou est marié, et que les risques encourus par le chef d’entreprise peuvent également peser sur son conjoint.

I. L’ENTREPRENEUR INDIVIDUEL

Lorsqu’une personne crée une entreprise et qu’elle exerce son activité à titre individuel, elle répond indéfiniment des ses dettes professionnelles non seulement sur les biens professionnels, mais aussi sur ses biens personnels.

La totalité du patrimoine de l’entrepreneur constitue le gage des créanciers. Il n’existe aucune séparation entre son patrimoine professionnel et son patrimoine personnel.

L’entrepreneur individuel marié sous un régime de la communauté engage donc ses biens personnels ainsi que les biens communs.

A. LE RÉGIME MATRIMONIAL DE L’ENTREPRENEUR INDIVIDUEL

Il convient de distinguer l’entrepreneur non encore marié qui va choisir son régime matrimonial (1°) de l’entrepreneur marié qui devra peut-être changer de régime matrimonial (2°).

1. Le choix du régime matrimonial avant le mariage

a) Le régime de la communauté

Le chef d’entreprise marié sous un régime communautaire engage, par ses dettes professionnelles, non seulement ses biens propres, mais aussi les biens communs, et parfois même les biens propres de son conjoint.

1) Les biens propres du chef d’entreprise

Les biens propres d’un époux s’entendent de l’ensemble des biens dont il était propriétaire avant son mariage, ou dont il aurait fait remploi, ou des biens qui lui proviennent de succession ou de donation.

Tout époux, lorsqu’il contracte une dette, engage ses biens propres. Les créanciers professionnels du chef d’entreprise peuvent donc, au même titre que les créanciers personnels, exercer leurs poursuites sur l’ensemble de son patrimoine propre, y compris le logement de la famille, si celui-ci appartient au chef d’entreprise.

2) Les biens communs

Les biens communs s’entendent des biens acquis depuis le mariage, ainsi que des revenus du couple. Constituent également des biens communs les revenus des biens propres.

L’article 1413 du Code civil prévoit que « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs. »

Par conséquent, les dettes professionnelles nées pendant le mariage pourront être poursuivies sur les biens communs.

Toutefois, si l’entreprise constitue un bien propre du chef d’entreprise, et que la dette est née avant le mariage, le gage des créanciers professionnels sera limité aux biens propres du chef d’entreprise ainsi qu’à ses revenus.

Cautionnement des dettes professionnelles

Les banques exigent souvent, en garantie des crédits consentis à l’entreprise, que le dirigeant se porte caution.

Dans ce cas, l’article 1415 du Code civil prévoit que le dirigeant caution n’engage que ses biens propres et ses revenus.

Cependant, si la banque exige le consentement exprès du conjoint au cautionnement, le droit de poursuite s’étend aux biens communs dont les salaires du conjoint.

Si le conjoint se porte personnellement caution des dettes professionnelles de son époux, il engage également ses biens propres et ses revenus.

RECAPITULATIF

Obligation à la dette : le gage des créanciers

Dettes nées avant le mariage (art 1410 et 1411 du CC)
Biens propres de l’entrepreneur
Gains et salaires de l’entrepreneur

Dettes nées après le mariage (art 1413 du CC)
Biens propres de l’entrepreneur
Gains et salaires de l’entrepreneur
Biens communs

Cautionnement (art 1415 du CC)

Caution du seul entrepreneur
Biens propres de l’entrepreneur
Gains et salaires de l’entrepreneur

Caution du seul entrepreneur et accord exprès du conjoint
Biens propres de l’entrepreneur
Gains et salaires de l’entrepreneur
Biens communs

Caution des 2 époux
Biens propres de l’entrepreneur
Gains et salaires de l’entrepreneur
Biens communs
Gains et salaires du conjoint
Biens propres du conjoint

b) Le régime de la séparation de biens

Le chef d’entreprise marié sous un régime séparatiste n’engage que ses biens personnels, et sa quote-part de biens indivis s’il a acquis des biens avec son conjoint.

Ce régime séparatiste est souvent le régime matrimonial à adopter lorsque l’un des futurs époux exerce une activité professionnelle « à risques ».

La séparation des patrimoines des époux étant totale, le chef d’entreprise n’engagera que son patrimoine personnel. En particulier, les salaires de chaque époux constituant des biens personnels, ils ne pourront pas être saisis par les créanciers de l’autre époux.

Il se peut que les époux aient également acquis des biens en indivision. La quote-part indivise du chef d’entreprise entre alors dans le gage des créanciers. Les créanciers pourront alors provoquer le partage pour saisir la quote-part de leur débiteur (article 815-17 du Code civil).

Le régime de la séparation de biens est donc le régime matrimonial le plus adapté à l’entrepreneur individuel car il permet de maintenir les salaires du conjoint hors du gage des créanciers professionnels.

Cependant, si le conjoint se porte caution des dettes professionnelles de son époux, il engage ses biens personnels.

Un contrat de mariage devra alors être signé devant notaire avant le mariage.

Si le chef d’entreprise est déjà marié lorsqu’il débute son activité, il a la possibilité de changer de régime matrimonial.

2. Le changement de régime matrimonial

L’entrepreneur individuel marié sous un régime de communauté a la possibilité de changer de régime pendant son mariage, et ce, afin d’adopter un régime séparatiste avant de commencer son activité.

Le changement de régime matrimonial ne peut intervenir qu’après un délai de 2 ans après le mariage.

Le choix du nouveau régime matrimonial adopté par les époux est constaté par acte notarié, et doit contenir la liquidation du précédent régime (article1397du Code civil).

Les enfants majeurs de chacun des époux sont informés de modification envisagée, et chacun d’eux peut s’y opposer dans un délai de 3 mois.

En présence d’enfants mineurs, le changement de régime est soumis à la procédure d’homologation par le juge qui statuera au regard de l’intérêt de la famille.
Les créanciers sont également informés du changement de régime par la publication d’un avis dans un journal d’annonces légales dans le département du domicile des époux. Le délai d’opposition est également de 3 mois.

En cas d’opposition, l’acte notarié est soumis à l’homologation du Tribunal du domicile des époux.
Le changement est définitif à la date du jugement d’homologation.
Il est opposable aux tiers trois mois après que mention en a été portée en marge de l’acte de mariage.

B. LA PROTECTION DU PATRIMOINE DE L’ENTREPRENEUR INDIVIDUEL

Le choix du régime matrimonial n’est pas la seule protection possible du patrimoine du chef d’entreprise.

1. La déclaration d’insaisissabilité

La déclaration d’insaisissabilité permet à un entrepreneur individuel exerçant une activité commerciale, artisanale, agricole ou libérale d’exclure du gage des créanciers professionnels sa résidence principale ou tout bien immobilier bâti ou non bâti non affecté à son activité professionnelle.

a) Conditions de forme

La déclaration d’insaisissabilité doit être faite sous forme notariée.

Elle doit contenir la description détaillée des biens et l’indication de leur caractère propre, commun ou indivis

b) Publicité

La déclaration doit être publiée :
au bureau des hypothèques
à un registre professionnel si l’entrepreneur est immatriculé : registre du commerce et des sociétés pour les commerçants, répertoire des métiers pour les artisans
dans un journal d’annonces légales s’il n’est pas immatriculé (profession libérale)

c) Effets

La déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers professionnels dont la créance est née postérieurement à la publication au bureau des hypothèques.

Elle est donc inopposable aux créanciers personnels du chef d’entreprise ainsi qu’aux créanciers professionnels dont la créance est née antérieurement à sa publication.

La déclaration d’insaisissabilité peut cependant constituer un frein à l’obtention de crédits.
d) Vente du bien objet de la déclaration

En cas de vente du bien objet de la déclaration, le prix de vente sera insaisissable par les créanciers professionnels à condition qu’il soit remployé, dans un délai d’un an, dans l’acquisition d’une résidence principale.

e) Le coût

Environ 1000 EUR

2.L’E.I.R.L. (Entreprise individuelle à responsabilité limitée)

En choisissant ce statut, une personne peut diviser son patrimoine en deux masses, une masse de biens professionnels et une masse de biens privés, et ce, sans avoir à constituer une société.

Contrairement à la déclaration d’insaisissabilité, le chef d’entreprise établit la liste des biens qu’il entend affecter à son activité, et donc donner en gage à ses créanciers professionnels.

L’entrepreneur ne peut affecter à son activité professionnelle que les biens nécessaires et utiles à l’exercice de celle-ci, c’est-à-dire les biens professionnels (matériel professionnel, bien immobilier).

Si le chef d’entreprise est marié sous le régime de la communauté et qu’il souhaite affecter des biens communs à son activité, il devra obtenir l’accord de son conjoint car l’affectation d’un bien commun portera sur la totalité du bien.

La déclaration d’affectation devra comporter la description et l’évaluation des biens affectés à l’activité professionnelle, et indiquer l’objet de l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté.

Si l’affectation porte sur des biens immobiliers, elle doit être constatée par acte notarié, et être publiée à la conservation des hypothèques.

La déclaration doit également être publiée au registre auquel l’entrepreneur est immatriculé, ou à un registre spécial tenu par le greffe du tribunal de commerce.

A compter de la date de dépôt de la déclaration d’affectation, le droit de gage des créanciers professionnels est limité au patrimoine affecté.

Les créanciers professionnels dont la dette est née après la déclaration ne pourront pas exercer leurs poursuites sur les biens non affectés.

Cumul possible entre la DI et l’EIRL

II. L’ENTREPRENEUR EXERÇANT SOUS FORME DE SOCIÉTÉ

Selon le choix de la société, l’associé n’est responsable qu’à concurrence de son apport (SARL , SAS, SA, EURL).

Le fait d’exercer son activité sous forme sociétaire protège les patrimoines personnels des associés, et de leurs conjoints grâce à l’écran créé par la personnalité morale de la société.

Lorsque la société est à responsabilité (SARL ou SAS), les associés ne sont tenus qu’à hauteur de leurs apports.

Par conséquent, si l’actif social est insuffisant pour désintéresser les créanciers sociaux, les associés ne pourront pas être poursuivis sur leur patrimoine personnel. Tant leurs biens propres et les biens communs sont à l’abri des poursuites des créanciers sociaux.

Seule limite : si le chef d’entreprise s’est porté caution. Idem pour son conjoint.

A. LE CHEF D’ENTREPRISE EST MARIÉ SOUS LE RÉGIME DE LA COMMUNAUTÉ

Lorsque le chef d’entreprise est commun en biens, les parts sociales sont communes si elles ont été acquises au cours du mariage avec des fonds communs.

Le caractère commun des parts sociales conduit à distinguer la qualité d’associé qui est personnelle, de la valeur des parts qui est commune.

1. La distinction du titre et de la finance

La théorie du titre et de la finance consiste à opérer une distinction entre le titre professionnel qui demeure personnel à l’époux qui exerce, et la finance, c’est-à-dire la valeur patrimoniale, qui entre dans la communauté, sous réserve de la revendication de la qualité d’associé du conjoint.

Ex. médecin, architecte

2. La qualité d’associé du conjoint

  • dans les sociétés par actions : si les actions sont souscrites par un seul des époux commun en bien, le conjoint ne pourra pas demander la qualité d’associé
  • dans les sociétés dont les parts ne sont pas négociables (SARL, Société civile) : le conjoint commun en biens a la possibilité de revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts sociales (art 1832-2 du CC)

Pour être en mesure d’exercer ce droit, il devra être informé du projet d’acquisition des parts par son époux, à défaut, il pourra demander la nullité de l’acquisition des parts dans les 2 ans à compter du jour où il en a eu connaissance.

Dans le cas d’une société préexistante et en présence de clause d’agrément, si le conjoint revendique la qualité d’associé, l’agrément d’un époux vaut automatiquement pour l’autre. Les associés en place doivent agréer les deux époux ou aucun.

Le conjoint n’est pas obligé de se prononcer au moment de l’acquisition des parts, il peut conserver cette faculté jusqu’à la dissolution de la communauté.

Il est toutefois possible de faire renoncer le conjoint à revendiquer la qualité d’associé.

B. LE CHEF D’ENTREPRISE EST MARIÉ SOUS LE RÉGIME DE LA SÉPARATION DE BIENS

Le chef d’entreprise marié sous le régime de la séparation de biens pourra acquérir seul les parts sociales, qui constitueront son patrimoine personnel.

Seuls ses biens formeront le gage des créanciers. Sauf si le conjoint s’est porté caution.

Le conjoint de l’entrepreneur n’aura pas la faculté de revendiquer la qualité d’associé.

III. LA TRANSMISSION DE L’ENTREPRISE AUX ENFANTS

L’entrepreneur est souvent soucieux de transmettre son entreprise à l’enfant soit qui travaille avec lui, soit qui sera capable de

A. LA DONATION-PARTAGE

Vu en première partie.

Le futur défunt attribue à chacun de ses enfants des biens. Ce qui lui permet de transmettre à l’enfant qui travaille avec lui son entreprise.

B. LA RENONCIATION À L’ACTION EN RÉDUCTION

La renonciation à l’action en réduction est l’acte par lequel un héritier réservataire renonce du vivant du futur défunt à demander la réduction des libéralités consenties par ce dernier et pouvant porter atteinte à sa réserve héréditaire.

Exemple : Le futur défunt a 3 enfants (la quotité disponible est d’un quart), dont l’un
(A) travaille avec lui dans l’hôtel familial depuis plusieurs années. Cette entreprise constitue la part essentielle de son patrimoine. Afin d’assurer la pérennité de son entreprise, lui provenant de son propre père, il souhaite associer son fils de manière définitive et exclusive.
Les autres enfants sont par ailleurs installés et exercent une activité différente.
Les enfants respectent la volonté de leur père et sont conscients du travail que leur
frère a produit dans l’entreprise. Pour procéder à une donation de la totalité du capital ils doivent procéder à une RAAR.

Hôtel : 1000
Appartement : 400
Banque : 200
1600

Réserve est d’1/4 soit 400.
Le future défunt a donné 1000 à A, il restera 600 soit 300 pour B et 300 pour C alors que leur réserve est de 400.

B et C ont accepté, par la renonciation, de perdre 100.

Conditions :

Cet acte doit être reçu par 2 notaires. Il comprend la renonciation de l’héritier réservataire, et l’acceptation de cette renonciation par le futur défunt.

Seul un héritier majeur, et non sous tutelle pour signer une telle renonciation.

C. LE PACTE DUTREIL

Le pacte Dutreil permet de bénéficier d’une réduction des droits de mutation en cas de transmission d’une entreprise ou des titres de sociétés par donation ou succession.

Si les conditions du pacte sont réunies, les biens objet de la transmission pourront être exonérés à concurrence de 75% de leur valeur.

1. Concernant les titres de sociétés

Pour bénéficier du régime fiscal de faveur, il convient de souscrire un engagement de conservation des titres à 2 niveaux :

Un engagement collectif de conservation des titres souscrit par au moins 2 associés pour une durée minimale de 2 ans.

Un engagement individuel de conservation des titres souscrit par les héritiers au moment du décès ou le donataire au moment de la donation. Il a une durée de 4 ans qui commence à courir à la fin de l’engagement collectif.

Il est soumis à 3 conditions :

a) Le nombre de titre

L’engagement collectif doit porter sur :

au moins 34% des titres si société non cotée,
au moins 20% des titres si société cotée

Seuls les titres inclus dans l’engagement collectif pourront bénéficier de l’exonération.

b) La durée de détention

2 ans minimum pour l’engagement collectif
4 ans pour l’engagement individuel. La période de 4 ans commençant à courir à compter de la fin de l’engagement collectif.

c) Exercer une fonction de direction

L’un des héritiers ou donataire ayant pris l’engagement individuel, ou l’un des associés ayant pris l’engagement collectif doit exercer dans la société pendant la durée de l’engagement et pendant les trois ans qui suivent la transmission :

son activité principale s’il s’agit d’une société de personnes
une fonction de direction s’il s’agit d’une société soumise à l’IS

2. Concernant les entreprises individuelles

Il n’existe pas d’engagement collectif.

Mais 3 conditions :

L’entreprise, si elle a été acquise à titre onéreux, doit avoir été détenue au moins 2 ans par le défunt ou le donateur (pas de délai si acquisition à titre gratuit ou création)
Engagement individuel de conservation de 4ans
Poursuite de l’exploitation pendant 3 ans.

3. Non respect des conditions

Exigibilité immédiate du complément des droits de mutation et intérêts de retard

4. Conclusion

Le pacte Dutreil peut se cumuler avec d’autres régimes de faveur, notamment la réduction de droits de 50% quand donation en pleine propriété avant 70%, et 30% entre 70 et 80 ans.