Comment acquérir en France ?

AVEC LA COLLABORATION DES INSTITUTS DU C.S.N

Lorsqu’une personne anglaise achète un immeuble en France, elle s’inquiète souvent du sort de ce bien à son décès. A cet égard, en matière de successions, les règles de droit international privé françaises, comme les règles anglaises, soumettent le sort des immeubles à la loi du lieu où ils sont situés.
Ainsi, l’immeuble acquis en France sera soumis aux règles du droit français des successions au décès de son propriétaire. Or, le droit français, contrairement au droit anglais, prévoit qu’une partie de la succession est réservée à certains héritiers (les enfants et, à défaut d’enfants, les père et mère). Pour éviter l’application de cette règle, et permettre au conjoint survivant, par exemple, de pouvoir disposer librement de l’immeuble situé en France, plusieurs techniques existent, telles que la tontine, le changement de régime matrimonial, et, sous certaines réserves, l’acquisition par une S.C.I., ou l’apport de l’immeuble acquis à une S.C.I… En revanche, l’acquisition en indivision peut engendrer certaines difficultés.


Textes

SOMMAIRE

1.QU’EST CE QUE LA TONTINE ?

2.LE CHANGEMENT DE RÉGIME MATRIMONIAL

3.LA S.C.I.

1. QU’EST CE QUE LA TONTINE ?

La tontine est une institution du droit français un peu comparable à la «joint tenancy» du droit anglais. C’est une clause par laquelle les acquéreurs d’un même bien conviennent que l’acquisition est réputée faite, dès le jour de l’acquisition, pour le compte du seul survivant d’entre eux. Elle permet d’avantager l’acquéreur survivant sans craindre les héritiers réservataires du prédécédé.
Une clause de tontine peut être prévue dans un contrat d’acquisition d’un immeuble situé en France lorsque la loi applicable au contrat est la loi française. Tel sera le cas lorsque, en application de l’article 3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, les parties à la vente choisissent de soumettre leur contrat au droit français. Tel sera également le cas, en application de l’article 4 de cette même convention, lorsqu’à défaut de choix le contrat de vente est soumis au droit français en raison de la situation en France de l’immeuble objet de la vente.

Aspects civils de la tontine
Pour être valide, la tontine ne doit pas porter atteinte aux règles du régime matrimonial des époux. A cet égard, des époux anglais, mariés sous le régime anglais de la séparation de biens, peuvent valablement introduire une clause de tontine dans leur acte d’achat.
Par ailleurs, pour être valide, la tontine doit être introduite au moment de l’acquisition en commun des biens.
Il y a là une première différence avec la « joint tenancy » du droit anglais, qui peut être convenue après l’acquisition.
Avant le décès de l’un des cocontractants, le bien est soumis à un régime particulier. Il ne s’agit pas d’un bien indivis. Les acquéreurs ne peuvent mettre fin à la tontine que d’un commun accord. C’est une deuxième différence avec la « joint tenancy », qui peut disparaître de façon unilatérale. De même, le bien acquis en tontine ne peut être saisi par le créancier personnel de l’un des acquéreurs, car avant le décès de son cocontractant ce débiteur n’est pas titulaire d’un droit privatif de propriété sur le bien. Enfin, si le conjoint « joint tenant » survivant ne subit aucune conséquence fiscale, il en est de même pour les époux ayant acheté en tontine.

Aspects fiscaux de la tontine
En principe, selon l’article 754 A alinéa 1er du Code général des impôts, les biens recueillis en vertu d’une clause de tontine insérée dans un contrat d’acquisition en commun sont, au point de vue fiscal, réputés transmis à titre gratuit au bénéficiaire de la clause.
Si les acquéreurs ne sont pas parents ni mariés, ni pacsé le survivant devra payer une taxe de 60 %. Cette règle s’applique même si les acquéreurs sont anglais et domiciliés fiscalement en Angleterre. Le droit d’imposer, pour un immeuble situé en France, est en effet reconnu à la France par application de l’article 4 a) de la Convention franco-britannique du 21 juin 1963.

Depuis le 1er janvier 2010 le bénéficiaire, s’il est marié ou pacsé, peut désormais opter pour l’imposition aux droits de mutation par décès à la place des droits de mutation à titre onéreux. Cette disposition permet donc d’éviter de pénaliser les bénéficiaires de la clause d’accroissement qui peuvent revendiquer une exonération de droits de succession.

2. LE CHANGEMENT DE RÉGIME MATRIMONIAL

Souvent, sur les conseils d’un solicitor, des époux britanniques, mariés sous le régime légal anglais de la séparation de biens, envisagent d’acquérir un bien immobilier en France après avoir changé de régime matrimonial. Ils souhaitent alors adopter le régime français de la communauté avec attribution intégrale au conjoint survivant.
Dans ce régime, le bien acquis n’appartient pas en propre à l’un ou l’autre époux. Il tombe dans une masse appelée communauté, gérée par les époux. Au décès de l’un des deux époux, grâce à la clause d’attribution intégrale, si celle-ci a été prévue, les biens qui composaient la communauté deviennent la propriété du conjoint survivant.

Le changement de loi applicable au régime matrimonial
Des époux mariés sous le régime légal anglais peuvent adopter le régime français de la communauté avec attribution intégrale au conjoint survivant sous certaines conditions, fixées par l’article 6 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux. L’article 6 prévoit que les époux peuvent changer de loi applicable au régime matrimonial en cours de mariage et adopter, dans certaines limites, la loi de leur choix.

Le choix offert aux époux
Tout d’abord, les époux peuvent choisir la loi d’un Etat dont l’un d’eux a la nationalité. Si l’un des époux est français, ils pourront choisir n’importe quel régime français, et notamment la communauté avec attribution intégrale au conjoint survivant.
Ensuite, ils peuvent choisir la loi de l’Etat sur le territoire duquel l’un des époux a sa résidence habituelle. Si l’un des époux a sa résidence en France, ils pourront choisir un régime français, comme dans l’hypothèse précédente.
Enfin, les époux peuvent choisir, pour les immeubles ou certains d’entre eux, la loi du lieu où ces immeubles sont situés. Ils peuvent également prévoir que les immeubles qui seront acquis par la suite seront soumis à la loi du lieu de leur situation. Ainsi, si les époux sont propriétaires d’un immeuble en France, ou sont sur le point d’en acheter un, ils peuvent choisir le régime de la communauté avec attribution intégrale au conjoint survivant.

Effets du changement de loi
Dans les deux premiers cas, c’est-à-dire lorsque l’un des deux époux est de nationalité française ou a sa résidence en France, le changement de loi porte sur l’ensemble des biens des époux, où que ces biens se trouvent.
Dans le troisième cas, seuls les immeubles sont affectés par le changement de loi. Ainsi, lorsque l’adoption de la communauté avec attribution intégrale porte sur des immeubles situés en France, et que les époux choisissent le régime de la communauté avec attribution intégrale au conjoint survivant, ce dernier va recueillir la propriété des immeubles et pourra en disposer comme bon lui semble. Dans ce dernier cas, si les époux n’ont que des enfants communs, ceux-ci seront remplis de leur réserve au décès du second époux, si la loi française est applicable à sa succession. Mais si tous les enfants ne sont pas issus des deux époux, les héritiers du conjoint prédécédé, qui ne pourraient rien recevoir dans la succession du conjoint survivant, pourront réclamer leur droit à réserve dès le premier décès, si les règles françaises de succession sont applicables.

3. LA S.C.I.

La S.C.I. (Société Civile Immobilière) est une forme de société du droit français. Elle présente l’avantage d’être une entité distincte des membres qui la compose. Le bien acquis par une S.C.I. appartient à la société, et pas à ses membres. Le départ de l’un des membres n’entraîne donc aucun changement dans la propriété.

Intérêt de constituer une S.C.I.
Pour éviter l’application des règles sur la réserve, il est parfois conseillé à des ressortissants britanniques, domiciliés en Grande-Bretagne, de constituer en France une S.C.I. Ou bien l’immeuble sera acheté par la S.C.I., ou bien l’immeuble sera apporté à la S.C.I. en échange de parts sociales.
Lorsqu’un membre de la S.C.I. décède, l’immeuble ne se retrouve pas dans son patrimoine. Sa succession ne se compose que de parts de la S.C.I., c’est-à-dire de biens meubles. Or, en droit international privé français, la transmission des biens meubles à cause de mort est soumise à la loi du domicile du défunt. Si le défunt était domicilié en
Angleterre, la loi anglaise va s’appliquer. S’il avait établi un testament en ce sens, ses parts de société pourront être transmises à la personne de son choix : les règles françaises sur la réserve ne s’appliqueront pas.
Sur le plan civil l’intérêt de la SCI est indéniable présentant deux avantages dans l’hypothèse du décès des propriétaires : elle permet d’éviter un morcellement de la succession ; elle préserve la liberté testamentaire qui est la règle dans les pays de droit anglo-saxon (2°).

Attention à la fraude à la loi
Il ne faut pas que la constitution de la S.C.I. soit destinée à priver les enfants ou les père et mère du défunt de leur droit à réserve. Si la volonté du défunt, en apportant l’immeuble à la S.C.I., était d’éluder la loi française, l’opération pourrait constituer une fraude à la loi, sanctionnée par les juridictions françaises.
Sur le plan fiscal :
L’avantage procuré par la mise à disposition gratuite du logement par la SCI à ses associés est taxable lorsque deux conditions sont réunies :
l’avantage en nature est procuré par une entité taxable ;
le bénéficiaire de l’avantage en nature est dirigeant de cette entité.

Il faut donc s’interroger pour savoir si ces deux conditions sont réunies dans le cadre d’une société civile détenant une résidence secondaire en France.
La plus grande vigilance s’impose en la matière.