La vie à deux – l’achat à deux

La vie commune est de l’essence de tout couple. Si le logement commun peut évidemment être loué, il est le plus souvent acheté par le couple. A l’occasion de cette acquisition, les acquéreurs expriment souvent des objectifs a priori contradictoires : assurer le droit au logement du survivant après le premier décès, et préserver les intérêts de chacun en cas de séparation du couple.

Textes

SOMMAIRE

1.L’ACQUISITION PAR DES CONCUBINS

2.L’ACQUISITION PAR DES PARTENAIRES

3.L’ACQUISITION PAR DES EPOUX

1. L’ACQUISITION PAR DES CONCUBINS

Aucune règle spéciale ne régit le concubinage. L’acquisition d’un immeuble par les concubins nécessite donc l’application du droit commun, et son adaptation aux spécificités du concubinage.

L’acquisition en indivision
Il s’agit d’un mode classique d’acquisition commune. Les concubins achètent directement le bien en indivision, chacun étant ainsi propriétaire d’un certain pourcentage du bien.
Les droits de chacun sont en principe fixés par l’acte d’acquisition. Si rien n’est prévu, ils sont chacun propriétaires de la moitié du bien.
Il est important que la part de chacun dans l’immeuble corresponde à la part effectivement payée par chacun. En cas de discordance, les droits de chacun sur l’immeuble ne seront pas modifiés.
Mais cela pourra être source de conflits, liés à la qualification de ce surplus de financement. S’agit-il d’une donation ? Dans ce cas, le concubin ayant financé plus que sa part ne pourra être remboursé. Mais le second concubin subira alors la lourde fiscalité attachée aux donations entre concubins, et pourrait être tenu de verser une indemnité de réduction aux héritiers réservataires du premier si cette donation porte atteinte à leur réserve. S’agit-il au contraire d’un prêt ? Le concubin ayant financé plus que sa part pourra alors être remboursé, mais en principe uniquement du nominal donné, sans réévaluation selon la valeur du bien indivis (sauf si peut s’appliquer l’article 815-13 du Code civil). Pour éviter ces problèmes de qualification, survenant généralement à une période délicate (séparation, décès de l’un des concubins), il faut que la part de chacun corresponde au financement réel. Si tel n’est pas le cas, cette discordance peut être utilement qualifiée (de prêt ou de donation) par les concubins, et ce dès l’acte d’acquisition.

Les difficultés en cas de séparation
En cas de séparation, apparaît tout d’abord le risque que l’un des concubins n’use de son droit de demander le partage (article 815 du Code civil). L’immeuble sera alors vendu à un tiers, à moins que l’un des concubins n’accepte de céder ses droits à l’autre (l’attribution préférentielle ne pouvant être accordée par le juge en cas de concubinage).
Par ailleurs, si l’un des concubins habite seul l’immeuble indivis après la séparation, il sera redevable d’une indemnité d’occupation (article 815-9 du Code civil).
Surtout, la liquidation de l’indivision nécessitera l’établissement d’un compte d’indivision. Comme exposé ci-dessus, ce compte pourra être difficile à établir si la quote-part de chacun ne correspond pas au financement réellement effectué par chacun.

Les difficultés en cas de décès d’un concubin
Le concubin survivant n’a aucun droit successoral dans la succession du prédécédé. Par conséquent, si aucune donation ni aucun legs n’a été consenti, la part du prédécédé reviendra à ses héritiers légaux. Le bien sera donc en indivision entre le concubin survivant et les héritiers du prédécédé. Chaque indivisaire pourra alors demander le partage (article 815 du Code civil). Si le survivant continue d’occuper les lieux, il sera alors redevable aux héritiers du prédécédé d’une indemnité d’occupation (article 815-9 du Code civil).
Pour pallier ce problème, on peut a priori insérer dans l’acte d’acquisition une clause de tontine, qui permet de considérer fictivement que le survivant est propriétaire du tout dès l’origine. Cette clause de tontine présente cependant de très importants inconvénients (notamment l’impossibilité de mettre fin au pacte tontinier sans l’accord des deux, et une fiscalité très lourde si l’immeuble commun vaut plus de 76 000 ).
Pour protéger le survivant, il est plus souvent conseillé que chaque concubin rédige un testament, par lequel il lègue au survivant la pleine propriété de ses droits indivis, ou l’usufruit de ses droits. Cette solution ne protège toutefois le survivant que de façon imparfaite : outre la lourde fiscalité des libéralités entre concubins (60 %), les héritiers du concubin prédécédé pourront demander au survivant une indemnité de réduction si ce legs porte atteinte à leur réserve. Ce risque existe que les enfants du concubin prédécédé soient ou non communs au couple.
Exemple : un couple de concubins achète chacun pour moitié une maison d’une valeur de 300 000 . L’un d’entre eux décède, laissant deux enfants, et léguant à sa concubine la pleine propriété de ses droits sur l’immeuble. S’il ne possédait aucun autre bien, sa concubine doit verser aux enfants une indemnité de réduction de 100 000 .

L’acquisition par le biais d’une SCI
Le mécanisme
Les deux concubins créent une société civile immobilière (SCI), en effectuant un apport en numéraire, la société achetant l’immeuble. S’ils sont déjà propriétaires d’un immeuble, ils peuvent également l’apporter à la SCI. Les concubins ne sont pas propriétaires de l’immeuble (qui appartient à la SCI), mais de parts sociales.

Les avantages de l’acquisition indirecte
Si les concubins se séparent, aucun d’entre eux ne pourra imposer à l’autre le partage (et donc la vente de l’immeuble), puisqu’il n’existe aucune indivision.
Le recours à la SCI est surtout particulièrement utile en cas de décès de l’un des concubins. Plutôt que de procéder à un legs des droits sociaux (qui présente les mêmes inconvénients que le legs de droits indivis), les concubins vont, de leur vivant, procéder à un échange croisé de l’usufruit de leurs parts sociales. L’un va transférer à l’autre l’usufruit de ses parts sociales, et ce réciproquement. Il s’agit alors d’un acte à titre onéreux, ce qui écarte les lourds droits de mutation à titre gratuit entre concubins, et la réduction pour atteinte à la réserve des descendants.
Exemple : Monsieur X et Madame Y constituent une SCI, destinée à acheter leur future maison. Monsieur X détient les parts 1 à 50, et Madame les parts 51 à 100. Ils procèdent à un échange, grâce auquel Monsieur est nu-propriétaire des parts 1 à 50, et usufruitier des parts 51 à 100, Madame Y étant nue-propriétaire des parts 51 à 100, et usufruitière des parts 1 à 50. Si MonsieurX décède le premier, Madame Y sera plein propriétaire des parts 51 à 100, et usufruitière des parts 1 à 50. Elle pourra donc continuer à utiliser le logement. La nue-propriété des parts 1 à 50 figurera dans la succession de Monsieur X, et sera transmise à ses héritiers. Ils deviendront pleins propriétaires de ces parts au décès de Madame Y.

Les inconvénients de l’acquisition indirecte
Ils sont liés à l’existence de la SCI, et tout d’abord à la création de cette société. Cela occasionnera en effet des frais (rédaction des statuts et immatriculation de la société). Par ailleurs, la société devra fonctionner effectivement, ce qui nécessitera la tenue d’une assemblée générale annuelle, la tenue de registres sociétaires, …

2. L’ACQUISITION PAR DES PARTENAIRES

Lorsque le couple a conclu un pacte civil de solidarité (PACS), lors du décès d’un partenaire, le droit au logement du survivant n’est que très faiblement protégé. Le survivant bénéficie en effet, par la loi, du seul droit viager au logement, pendant une durée d’un an à compter du décès de son partenaire (article 515-6 du Code civil). L’objectif des parties est donc ici, comme en matière de concubinage, double : assurer le droit au logement du survivant après le premier décès, et préserver les intérêts de chacun en cas de séparation du couple.

L’acquisition en indivision
Légalement, les partenaires sont soumis à un régime séparatiste (voir les fiches « PACS (aspects juridiques) » et « Mémento PACS »). Ils peuvent toutefois acquérir un bien en indivision, comme ils le feraient s’ils vivaient en concubinage simple. Dans ce cas, les inconvénients exposés ci-dessus pour l’acquisition en indivision par des concubins pourront également survenir (droit de demander le partage, indemnité d’occupation en cas d’occupation privative par un seul indivisaire, …). Les éventuelles créances entre partenaires, qui pourraient notamment résulter d’un financement ne correspondant pas aux droits de chacun dans le bien indivis, devront être prouvées et seront revalorisées en fonction de l’évolution de la valeur du bien indivis (article 515-7 du Code civil).
Les partenaires peuvent également, dans la convention initiale ou dans une convention modificative, soumettre au régime de l’indivision les biens acquis ensemble. L’immeuble acquis par les partenaires est alors réputé indivis par moitié entre les partenaires. Les inconvénients liés au régime de l’indivision pourront également survenir. Toutefois, dans ce cas, si le financement ne correspond pas aux droits de chacun dans l’indivision, aucun recours ne sera possible (article 515-5-1 du Code civil).

Quelle que soit l’origine de l’indivision, il est essentiel de rappeler que les partenaires n’ont, hormis le droit temporaire au logement, aucun droit successoral. Par conséquent, au décès de l’un, le survivant sera en indivision avec les héritiers du partenaire prédécédé. Pour protéger le survivant, chaque partenaire peut rédiger un testament, par lequel il lègue au survivant la pleine propriété de ses droits indivis, ou l’usufruit de ses droits. Cette solution ne protège toutefois le survivant que de façon imparfaite, puisque les héritiers du concubin prédécédé pourront demander au survivant une indemnité de réduction si ce legs porte atteinte à leur réserve. Ce risque existe que les enfants du concubin prédécédé soient ou non communs au couple.
Exemple : Monsieur X et Madame Y, partenaires, achètent chacun pour moitié une maison d’une valeur de 300 000 . Monsieur X décède, laissant deux enfants, et léguant à Madame Y la pleine propriété de ses droits sur l’immeuble. S’il ne possédait aucun autre bien, Madame Y devra verser aux enfants une indemnité de réduction de 100 000 , et ce qu’il s’agisse ou non d’enfants communs du couple.

L’acquisition par le biais d’une SCI
Pour pallier les problèmes exposés ci-dessus, liés à l’indivision et à la réserve des descendants, les partenaires peuvent recourir à une acquisition indirecte, par le biais d’une SCI, comme s’ils vivaient en concubinage. Ce procédé sera identique à celui exposé pour les concubins, et présentera les mêmes avantages, mais également les mêmes inconvénients.

3. L’ACQUISITION PAR DES ÉPOUX

Lorsque le couple est marié, le droit au logement du survivant est assuré par différents mécanismes :

  • droits temporaire et viager au logement (Articles 763 et 764 du Code civil)
  • droits successoraux légaux (Articles 757 à 757-2 du Code civil)
  • donation entre époux (voir la fiche « L’intérêt de la donation entre époux »)

La problématique de l’acquisition à deux par un couple marié n’est donc pas abordée dans une optique de protection du droit au logement du survivant, comme en matière de PACS ou de concubinage. Elle concerne essentiellement le statut du bien et son financement, qui est fonction du régime matrimonial des époux.

L’acquisition par les époux peut tout d’abord se faire par le biais d’une SCI. Dans ce cas, l’objectif premier recherché n’est pas une protection du droit au logement du survivant. Il s’agit plutôt d’anticiper la transmission de son patrimoine aux enfants, voire de modifier les pouvoirs des époux sur un bien sans changer de régime matrimonial (par exemple, en apportant à une SCI créée entre deux époux communs en biens un immeuble propre à l’un d’eux). Seules les règles relatives à l’acquisition directe par les époux, selon leur régime matrimonial, sont donc ici étudiées.

Les époux mariés sous un régime communautaire
Le bien acheté par les deux époux est en principe, et dans l’immense majorité des cas, un bien commun. Il n’en est autrement que si l’immeuble est acheté au moyen de fonds propres à l’un ou l’autre des époux.
Si le bien commun est financé au moyen de fonds propres à l’un des époux, il aura alors droit à une récompense de la part de la communauté (article 1433 du Code civil), calculée en fonction de l’évolution de valeur du bien acquis (article 1469 du Code civil).

Les époux mariés sous un régime séparatiste
Les époux vont alors acheter le bien en indivision, chacun devenant propriétaire d’une quote-part de l’immeuble. Les droits de chacun sur l’immeuble sont alors fixés par l’acte d’acquisition, peu important à cet égard le financement réel effectué par chacun des époux. Si aucune quote-part n’est précisée dans l’acte, ils ont chacun des droits sur la moitié de l’immeuble, là encore sans considération du financement réellement effectué.

S’il existe une discordance entre le financement de chacun et ses droits sur l’immeuble, se posera alors la question de la qualification de cette discordance, dont dépend la possibilité pour l’époux ayant financé plus que sa part d’être indemnisé. Ainsi, s’agissait-il d’un prêt, remboursable, ou d’une donation, irrévocable ? Cette discordance ne participe-t-elle pas, de façon plus générale, des rapports patrimoniaux des époux, et notamment de l’obligation de contribuer aux charges du mariage ? Si la créance entre époux est reconnue, elle sera alors revalorisée en fonction de l’évolution de valeur du bien (article 1543 du Code civil).

Pour des développements plus complets sur ce régime matrimonial, voir la fiche « Contrat de mariage – La séparation de biens ».

Les époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts
Pendant la durée du mariage, ce régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous la séparation de biens (article 1569 du Code civil). Le bien acquis directement par les deux époux est dès lors indivis, et soumis par conséquent au régime légal de l’indivision. Puis, à la dissolution du mariage (du fait du divorce des époux ou du décès de l’un d’eux), devra être fixée la créance de participation, établie en comparant le patrimoine originaire et le patrimoine final de chacun des époux (articles 1570 à 1574 du Code civil).

Pour des développements plus complets sur ce régime matrimonial, voir la fiche « Contrat de mariage – La participation aux acquêts ».